Retour 22 avr. 2024

Sur les pas de Burçak et Mustafa Ali, requérants d’asile à Genève : épisode 2

Dans cet épisode, je retrouve Burçak et Mustafa dont j’ai fait la connaissance voici un mois pour la deuxième étape de leur parcours d’intégration en tant que primo-arrivants attribués au canton de Genève. Pour rappel, un primo-arrivant est une personne issue du domaine de l’asile qui vient tout juste de poser ses valises dans notre canton. Aujourd’hui, Burçak et Mustafa Ali assistent à l’atelier sur la vie quotidienne – le deuxième sur les huit élaborés et animés par l’unité actions pour l’information, la prévention et l’intégration (AIPI) de notre institution.

A la découverte de Genève

Merhaba, Rojbas, Kasim – ex-pair* – salue les participant-es à l’atelier en turc et en kurde. Il virevolte entre les gens, offrant un sourire à l’un, un mot gentil à l’une, une poignée de main à un autre. Puis il s’arrête auprès de Burçak pour me traduire ses propos. Je demande à la jeune femme comment elle va depuis notre rencontre : « Je vais bien. J’ai du temps en ce moment. J’ai passé un examen d’évaluation pour m’inscrire aux cours de français. J’ai hâte de commencer et, en attendant, je me promène beaucoup seule. Je suis par exemple allée au bord du lac et voir la cathédrale en Vieille-Ville ; je continue à me perdre mais ce n’est pas grave. De cette manière, j’apprends à me repérer. » Elle compare avec Istanbul, sa ville d’origine : « Genève est beaucoup plus petite, il y a moins de monde et c’est plus calme. Mais ça me convient bien, ça me permet de réfléchir à la suite. » Elle poursuit : « J’ai aussi vu quelques personnes : je suis allée une fois au jardin botanique avec mon assistante sociale et je bois de temps en temps un café avec des amis qui vivaient déjà ici (ndlr : il y a une grande communauté kurde à Genève). »

*Ex-pair : personne accompagnée par notre institution qui a un bon niveau de français et fait office de traductrice pour les personnes issues de la même communauté ou d’une zone linguistique donnée. Elle effectue ce travail de traduction dans le cadre d’une mesure appelée « activité de réinsertion » et reçoit une petite rémunération en retour.

 

De gauche à droite : Taner, Tuncay, Burçak, Kasim et Mustafa
De gauche à droite : Taner, Tuncay, Burçak, Kasim et Mustafa


Permis et cours de français

Notre discussion est interrompue par l’horloge qui sonne 14 heures, soit le début de l’atelier du jour. Celui-ci porte sur la vie quotidienne et est animé par Jennifer, collaboratrice de l’AIPI. Les participant-es se rassemblent en fonction des langues parlées, en l’occurrence le turc et le kurde pour lesquelles Kasim officie en tant qu’interprète. Jennifer commence par expliquer les particularités des différents permis. Point important : elle rappelle que tous les permis (F, B et S) permettent de travailler immédiatement ; seul le permis N nécessite trois mois d’attente. Un participant s’interroge : « Si je trouve un travail dans un autre canton, est-ce que je peux déménager ? » La réponse est non : « Il faut s’adresser au Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) pour toute demande de changement de canton. Dans l’intervalle, il vous faudra faire les trajets de votre domicile genevois à votre lieu de travail, par exemple dans le canton de Vaud. » déclare la collaboratrice de l’AIPI. « A-t-on le droit de sortir de la Suisse ? » s’enquiert un autre participant. Cela dépend du permis. Les personnes titulaires d’un permis N en attente d’une décision quant à leur demande d’asile et celles qui bénéficient d’un permis F admission provisoire ne sont pas autorisées à sortir de Suisse, sauf autorisation spéciale délivrée par le SEM. Un titre de voyage peut par ailleurs être délivré pour les titulaires d'un permis F/B réfugié. Les personnes bénéficiant d’un permis S – à savoir les ressortissant-es d’Ukraine – sont en revanche libres de se déplacer en Europe.

L’atelier se poursuit avec un rappel des prestations de l’Hospice général. Attentifs, les participant-es rebondissent sur l’accès aux cours de français. Le délai entre l’attribution à un canton et le début des cours de langue étant souvent de deux à trois mois, Jennifer leur suggère de contacter le centre de la Roseraie ou le centre de jour de la Croix-Rouge pour acquérir au plus vite les connaissances de base.

 

Busra et Kasim durant l'atelier
Busra et Kasim durant l'atelier


Des raisons politiques

Après l’atelier, je discute avec une des participantes, Busra, âgée d’une trentaine d’années. La voix teintée d’émotion, elle m’explique qu’à la suite de la tentative de coup d’Etat en Turquie en 2016, tous les militaires ont été considérés comme des terroristes par le gouvernement. Il s’avère que le mari de Busra travaillait au sein de l’armée. En raison du stress permanent, Busra a fait deux fausses couches. Arrivée à Genève avec son époux en février, elle se dit encore très affectée mais est pleine d’espoir en l’avenir. « J’aimerais apprendre rapidement le français et ensuite rejoindre le programme Horizon académique pour terminer mon doctorat en sociologie. »

Mustafa Ali n’est pas militaire mais enseignant ; il décrit aussi cette tension et cette surveillance policière permanente. Kasim me fournit des éléments de contexte : « En Turquie, quand tu as été emprisonné, ton casier judiciaire est accessible dans toutes les administrations. Par exemple, si tu demandes un acte de naissance, le fonctionnaire qui te le délivrera aura accès à cette information sur son ordinateur. Ca te suit partout. » Mustafa Ali ajoute : « Après que j’ai été emprisonné, des membres proches de ma famille se sont aussi retournés contre moi. Ils ont arrêté de me parler du jour au lendemain parce que je suis soi-disant un ‘terroriste’. » « C’est le résultat de la propagande. » soupire Kasim. Lorsqu’il compare avec la Suisse, Mustafa Ali est catégorique : « Ici, je ne me sens pas surveillé. Au contraire, je sens que je fais à nouveau partie de la société et j’ai l’impression que tout le monde fait de son mieux pour m’aider. Je suis récemment allé en Suisse alémanique pour voir un ami. Je l’ai rencontré en 2016 en prison. Il a réussi à se réfugier en Suisse en 2019, a depuis trouvé un emploi d’aide-soignant et me donne des conseils pour faciliter mon intégration. Il me dit aussi quels sont les produits bons et bon marché à acheter à la Migros. Mais le voir avec sa famille me fait penser à ma femme et à mes enfants qui sont restés au pays. » poursuit-il avec un sourire triste. « Alors c’est d’autant plus important pour moi de m’occuper parce que ça m’aide à ne pas cogiter. J’ai une routine quotidienne. Je me lève chaque matin à 7h30, je prends mon petit-déjeuner puis je lis pendant plusieurs heures. L’après-midi, j’assiste au cours de français et ensuite je pars me balader. Je fais 10'000 pas par jour et pendant mes balades, j’appelle ma femme, ma fille et mon fils en visio. Comme ça, ils découvrent Genève avec moi. »

 

Kasim et Mustafa discutent en prenant un café
Kasim et Mustafa discutent en prenant un café


Prochain épisode du parcours d’intégration de Burçak et Mustafa Ali en mai. Ils assisteront à l’atelier santé.
 

De gauche à droite : Taner, Tuncay, Burçak, Kasim et Mustafa