Thierry Apothéloz, le conseiller d’État en charge de la cohésion sociale, nous a accordé une interview pour évoquer les priorités d’une politique à destination des seniors. Auteur d’un livre-réflexions sur cette thématique , il est particulièrement sensible et engagé sur ce terrain.
Avec l’accélération du vieillissement de la population,
quels sont les défis à relever ?
Les défis sont nombreux et touchent tous les secteurs et toutes les politiques publiques, que ce soit en termes de réseaux de soins, de finances publiques ou d’aménagements publics.
D'ici moins de 20 ans, un quart de la population sera en âge AVS, contre 17% seulement aujourd'hui. Et le nombre de personnes de plus de 80 ans aura doublé.
Nous devons donc anticiper les besoins de demain dès aujourd'hui, car le vieillissement de la population va très vite (souvent plus vite que certaines décisions politiques !). et nécessite d'anticiper au maximum ses effets pour maintenir les équilibres de la société.
S’il existe évidemment des risques inhérents aux changements, il s'agit surtout de nous concentrer sur les opportunités !
Quels sont précisément ces risques ?
Très concrètement, le phénomène de la longue vie que nous allons traverser va entraîner rapidement des conséquences très concrètes :
Une baisse du nombre d'actifs, alors même que nous souffrons d'un manque de main-d'œuvre important. Pour rappel Genève compte 340'000 places de travail pour une population résidente active de 220'000 personnes seulement !
- Une pression sur les finances publiques avec la hausse du coût de l'AVS et parallèlement une baisse du nombre de contributeurs par l'impôt sur le revenu. Ajoutons des coûts de la santé généralement beaucoup plus importants chez les personnes âgées.
- Une nécessité de conserver la qualité de vie d'une population qui a besoin de soutien et d'encadrement. Ceci, sans en dramatiser la situation, car la majorité des personnes âgées "meurent en pleine forme" (c'est-à-dire exemptes de maladie chroniques).
- Éviter surtout le clivage générationnel et le sentiment d’exclusion vécu par certaines personnes âgées. L’inclusion et la participation citoyenne doit être inscrite tout au long de la vie. La fin de la vie professionnelle est le début d’un nouveau chapitre.
En définitive, quelle que puisse être l'ampleur de la révolution démographique, le plus important pour moi est de veiller à ce que nous puissions continuer à "faire société", c'est-à-dire à ne laisser personne au bord du chemin. Pour cela, il faudra notamment renforcer les solidarités de proximité et faire en sorte que chacun trouve sa place au sein de la communauté.
Quels projets souhaiteriez-vous développer
afin de favoriser une société de longue vie ?
Premièrement, je veux promouvoir la vision d'un vieillissement actif et heureux ! C'est-à-dire que je veux positiver le vieillissement de la population et changer l'image qu'on a trop souvent sous nos latitudes d'une vieillesse synonyme de "vulnérabilité", de "dépendance", "d'improductivité" ou de "poids/charge" pour la société. Les seniors sont notre avenir !
Nous devons réenchanter le vieillissement ! Il faut donc impérativement que nous les valorisions, tant auprès des générations plus jeunes que d'eux-mêmes, qui ont parfois une tendance à l'auto-exclusion, notamment pas la pression sociale qu'ils subissent et qui est selon moi inadmissible !
Il faut valoriser et reconnaître non seulement ce que nos aînés ont apporté dans la construction de notre société, de notre canton et de notre pays, mais aussi de tout ce qu'elles et ils apportent encore, par exemple en termes de bénévolat, de proche-aidance ou de soutien à la parentalité. Les seniors sont un maillon essentiel de notre cohésion sociale, ce qu'on oublie bien souvent !
Deuxièmement, je veux renforcer les solidarités de proximité, notamment en lien avec l'information et la lutte contre le non-recours aux prestations. Encore trop de seniors aujourd'hui ignorent ou n'osent pas faire appel aux prestations auxquelles elles ont droit, notamment les prestations complémentaires. S'ensuivent des situations dramatiques de fragilisation, auxquelles s'ajoutent souvent un mécanisme d'isolement, lequel est pour moi un fléau contre lequel il faut lutter encore davantage.
Beaucoup de seniors, en vieillissant, perdent leur réseau, leurs repères et s'enferment involontairement dans la solitude. Je veux que nous redécouvrions- tant les individus que les collectivités publiques- la nécessité des solidarités de proximité afin que chacune et chacun puisse s'épanouir dans une société qui lui apporte soutien, réconfort et qui propose des activités et prestations destinées à lutter contre l'isolement. Il existe déjà tant de choses à faire et à vivre pour les seniors !
Pour que ces projets se mettent en place, nous travaillons activement- avec l'ensemble des départements de l'État, ce qui est une première- à l'élaboration conjointe d'une "politique du vieillissement" qui sera présentée par le Conseil d'État en printemps 2025. L'originalité de cette démarche est qu'elle se construit avec les seniors eux-mêmes, qui sont déjà sollicités au travers du dispositif "Panel des seniors" (sondage en ligne, continu, qui a déjà recueilli près de 5'000 réponses !) et qui seront invités à prendre part à un large processus participatif destiné à construire la politique des seniors évoquées ci-dessus !
Quels sont les enjeux pour les seniors
autour du lien entre la santé et le social ?
Il est fondamental ! Ça n'est pas pour rien que la question du vieillissement à Genève, jusqu'à il y a peu, étaient exclusivement traitée sous l'angle sanitaire. En effet, la question des coûts de la santé en lien avec le vieillissement était jusqu'à lors le seul prisme par lequel on envisageait ce phénomène démographique. Il est vrai que les risques sont énormes et que nous devrons impérativement y faire face, sans diminution de la qualité des soins et en rendant ces charges supportables pour la collectivité.
Mais on sait aussi combien des conditions de vieillissement dignes, actives et dynamiques retardent les interventions médicales et ont donc un impact direct sur les coûts.
En ceci, c'est en quelques sorte "le social" qui détermine "la santé", en ce que la qualité de vie qu'on offre à nos seniors a un double effet positif : il permet de leur assurer leur place dans la société et il contribue à diminuer les coûts de la santé. C'est un cercle vertueux qu'il faut impérativement renforcer, ce à quoi nous travaillons, en étroite collaboration notamment avec les communes, qui ont depuis le 1er janvier 2023 la responsabilité de mettre en œuvre des politiques de proximité visant à lutter activement contre l'isolement.
Quel est votre rêve pour les seniors de demain ?
Idéalement, je ne voudrais pas de "seniors de demain", mais simplement des citoyennes et citoyens intégrés pleinement dans la société, exempts de discriminations liées à leur âge ou à leur santé. Des parties prenantes et des composantes essentielles de notre communauté, comme chacune et chacun d'entre nous, avec nos besoins, nos envies, nos rêves qu'il nous doit être possible de réaliser à n'importe quel âge.