Les rêves ont la vie dure (série)
Les baby-boomers s’apprêtent à constituer la nouvelle génération de retraités, débarquant avec leur jeunesse exaltée de mai 68 et une carrière professionnelle menée par des « battants» comme les ont qualifiés les sociologues du travail. Quelle retraite rêvent-ils de vivre ? En indépendants avec leur pouvoir d’achat ? A recréer des liens sociaux avant que leur entourage ne s’éparpille ? A œuvrer pour la communauté ?
Un Forum ouvert est organisé au CAD les 11 et 12 octobre où divers ateliers de réflexion ouverts à toute la génération née entre 1947 et 1957 va développer des pistes pour « mieux vivre ensemble, le plus longtemps possible ». Ses conclusions seront transmises aux autorités.
Venez nombreux.
Roland Junod
Ancien responsable de formation pour l’animation socioculturelle et la philosophie à la Haute école de travail social (HETS) et à la retraite depuis 5 ans.
Quels rêves sont restés immuables dans votre vie ?
Depuis ma jeunesse, je ne me suis jamais projeté vers l’avenir. J’avais même l’habitude de dire quand je serai à la retraite, j’aurai enfin le temps de réfléchir à ce que je ferai quand je serai plus grand. En fin de compte, j’ai toujours suivi des opportunités qui se présentaient et sans fonctionner sur un mode mono-fantasmatique.
J’ai suivi des études de philosophie à Paris de 1971 à 1974 à Nanterre (Paris) et c’était vraiment le milieu effervescent de l’immédiat après mai 68. L’esprit de la « Révolution » était encore très présent, à tel point que je ne ressentais pas le sens de me projeter dans l’avenir personnellement, mais avec les autres. En Suisse, on ne sentait pas le vent du changement mais nous étions quelques-uns à vouloir remettre en question la « paix du travail », par exemple ou le sort des travailleurs immigrés.
De retour dans ma ville de Bienne, j’ai été séduit par un projet de « Coopérative de construction », ce qui permettait à la fois de toucher au travail de bâtisseur mais également de faire l’expérience de l’autogestion. J’ai ainsi œuvré pendant 12 ans comme maçon principalement. C’était beau. On vivait les saisons pleinement. Dans tout cela, il y a peut-être des rêves, mais ils étaient simplement recouverts d’utopie et de plaisirs !
Et puis un hiver particulièrement rigoureux, où il a gelé longtemps, nous a mis au chômage technique. En tant qu’indépendant, ça devenait dur. J’ai postulé à une offre de Secrétaire à la Jeunesse pour la Ville de Bienne. Mon expérience dans les milieux alternatifs les a séduits et j’ai été engagé. Cet emploi a été par la suite un tremplin pour postuler à la HETS, où j’ai enseigné pendant presque 25 ans. D’ailleurs, à bien réfléchir, il ne pouvait y avoir meilleur lieu pour dispenser des cours de philosophie, auprès de jeunes qui allaient se retrouver sur le terrain, dans l’action. Mes cours avaient pas mal de succès. Ils étaient basés autour d’ateliers de quartier, où l’on essayait de décortiquer les enjeux et les problématiques. Je me suis également beaucoup investi, durant cette période, auprès du Rwanda, suite au génocide, à travers des « recherches-actions ».
Aujourd’hui, il y a des disparitions dans mon entourage et je me sens porté par ce rythme qui m’entraîne à vivre dans le présent. Mon programme ? Les amis, lire, écrire et marcher. Et puis, je ne peux pas m’empêcher de continuer à enseigner de temps en temps…