Retour 27 mai 2024

Silence, je signe, je lis et j’écris !

L’offre de cours de français délivrés par l’unité français de base (UFB) au centre de formation de l’Hospice général (CEFED) ne cesse de s’adapter pour répondre aux besoins des personnes que nous accompagnons. Nous vous avons présenté il y a quelque temps les cours destinés aux seniors rencontrant des difficultés d’apprentissage. Depuis novembre 2023, des personnes sourdes ou malentendantes viennent deux fois par semaine au CEFED pour y apprendre le français. Françoise Bergeret, responsable de l’UFB, nous en parle. 

Comment est né ce projet pilote ?
Françoise Bergeret (F.B.) : « Le besoin a émergé avec l’accueil des ressortissants ukrainiens titulaires du permis S. Les personnes concernées avaient appris que des cours adaptés à leur handicap avaient été mis sur pied par l’Etablissement vaudois d’accueil des migrants (EVAM). Nous nous sommes donc mis en quête de formateurs ou formatrices d’adultes spécialisées en français langue des signes (FLDS) et aujourd’hui, deux personnes, Mireille et Azra, elles-mêmes malentendantes, dispensent trois heures de cours par semaine. Les cours ont démarré à la mi-novembre 2023 avec un groupe de huit personnes âgées de 25 à 50 ans. Seule l’une d’entre elles, qui est malentendante, a la capacité de parler. Il y a également une personne philippine qui a appris la langue des signes anglaise. Elle a vécu en France avant de s’installer en Suisse et s’est intégrée très facilement dans le groupe. »

Quels supports sont utilisés pour les cours FLDS ?
F.B. : « Les formatrices utilisent les supports habituels et s’inspirent de l’approche FIDE*. Nous espérons d’ailleurs que ces cours pourront, comme ceux qui sont donnés aux autres primo-arrivants, être certifiés FIDE**. »

Y a-t-il de grandes différences entre les cours de français ordinaires et ceux dédiés aux personnes sourdes ou malentendantes ?
F.B. : « Oh, non ! La pédagogie est similaire et le corps enseignant est confronté aux mêmes problématiques. Seuls les canaux de communication diffèrent. Dans ce groupe, les personnes sont très volontaires. Il y a d’ailleurs de jeunes parents qui n’ont pas de solution de garde pour leur bébé. Ils viennent donc à tour de rôle et se transmettent les informations entre deux cours. »

Comment vois-tu l’évolution de ces cours de FLDS ? 
F.B. : « Nous sommes partis sur un projet pilote de six mois. Nous aimerions ensuite les ouvrir aux personnes sourdes ou malentendantes d’autres horizons. »

Entretien avec Mireille Deschenaux, enseignante FLDS

Mireille enseigne le français langue des signes (FLDS) depuis 1993. Ses compétences sont très prisées et elle dispense des cours dans une multitude de structures. Cependant, ce n’est qu’en 2022 qu’elle a été pleinement reconnue en tant qu’enseignante FLDS, la Confédération ayant tardé à mettre sur pied un brevet fédéral dans le domaine. Elle est la première Romande à l’avoir obtenu !
Malentendante, Mireille Deschenaux est capable de lire sur les lèvres et parle. J’avais la crainte que nous ne nous comprenions pas, mais sa vivacité et sa luminosité balaient mon appréhension. Et lorsqu’une réponse ou une question ne sont pas claires, rien de plus facile : nous conversons par écrit.

Les participants maîtrisent la langue des signes russe. Y a-t-il de grandes différences entre langues des signes ?
Mireille Deschenaux (M.D.) : « Oh oui, bien sûr ! Les langues de signe se calquent en grande partie sur la « réalité » du monde physique. Imaginez un toit : celui-ci n’a pas la même forme en Asie, en Afrique ou en Europe et par conséquent, le signe n’est donc pas le même. Le programme que je suis est basé sur la dactylologie.* »

Quelles sont les difficultés que rencontrent les participants ?
M.D. : « La langue des signes russe est calquée sur la langue et la grammaire russes. Ce n’est pas du tout le même cas pour le français. Par ailleurs, il y a de grandes différences entre le russe et le français : le verbe être n’existe pas à l’indicatif du présent et il n’y pas d’articles. La langue française regorge d’expressions, ce qui est une difficulté supplémentaire ! La participante philippine qui a appris la langue des signes anglaise est en ce sens avantagée. »

Les apprenants ont-ils l’occasion d’échanger avec des personnes sourdes ou malentendantes francophones ?
M.D. : « L’occasion ne s’est pas encore donnée. L’idéal serait d’organiser une rencontre au Restaurant Vroom où l’équipe comprend des personnes sourdes et malentendantes. La cuisine y est d’ailleurs excellente. Cela dit, l’objectif pour les participants est d’accéder à la langue française écrite. »

En combien de temps, les élèves peuvent-ils espérer commencer à maîtriser le français ?
M.D. : « Il faut compter 12 mois à 2 ans. Comme dans tous les groupes de populations, il y a des personnes qui ont des traumatismes scolaires, mais le pourcentage est sans aucun doute plus élevé parmi les personnes avec un handicap. C’est aussi pour cela que le jeu tient une place centrale dans mon enseignement. »

Entretiens réalisés le 8 mars 2024

Photos 1 et 2 : participants aux cours de français FDLS
Photo 3 : Mireille Deschenaux, enseignante FDLS

* La dactylologie est un ensemble de signes faisant correspondre à chaque lettre de l'alphabet une configuration de la main. C’est un moyen de communication complémentaire à la langue des signes.
** https://fide-admin.ch/fr/fide/quest-ce-que-fide : « fide est l’acronyme de « Français, Italiano, Deutsch en Suisse » et fait référence au programme suisse de promotion de l’intégration linguistique. L’objectif de fide est de permettre aux personnes ayant immigré en Suisse d’acquérir et de démontrer des compétences langagières de manière concrète et orientée vers la vie quotidienne. L’approche didactique de fide se fonde sur des principes tels que le lien avec le quotidien ainsi que l’orientation vers l’action et les besoins. Le programme fide a été élaboré sur mandat de la Confédération et repose sur le principe de la politique d’intégration nationale d’encourager et d’exiger. »

 

Elèves cours FDLS
Elèves_2 cours FDLS
Mireille Deschenaux, enseignante FDLS