Retour 18 janv. 2024

Belkis : repartir de zéro avec son bagage et après 30 ans

Belkis et sa famille sont arrivées en Suisse il y a 4 ans. Lorsque nous faisons connaissance, elle précise d’emblée que son français est encore incertain et que je ne dois pas hésiter à lui demander de répéter. Elle se trompe : son élocution est précise et son vocabulaire d’une richesse étonnante. Récit d’un beau parcours d’intégration.

Belkis, d’origine kurde, a vu dans son enfance les siens persécutés par le pouvoir. Ce sont des raisons politiques qui les décident, elle et son mari, de quitter la Turquie. Pour que leurs filles (jumelles), alors âgées de 6 ans, ne vivent pas à leur tour ce qu’ils avaient subi. Ils ont choisi de venir en terre helvétique parce que ce pays multilingue et multiculturel est un modèle dont ils rêvent pour leur pays. Son mari, qui n’avait pas de passeport, a emprunté la voie de l’exil en passant par la Grèce ; titulaires du précieux sésame, Belkis et les filles ont, elles, pu aisément gagner la Suisse.

« On y a découvert le monde et les différents conflits que subissent les populations. »

La famille a été ballotée d’un centre fédéral pour requérants d’asile (CFA) à l’autre, mais a quitté Boudry avec un permis B en poche. Ce que Belkis retient de ces séjours dans les CFA ? « On y a découvert le monde et les différents conflits que subissent les populations. Nous avons sympathisé avec une famille colombienne et partagé nos souffrances. ». « À Boudry, le soir du Nouvel An, nous avons dansé avec les agents de sécurité, l’ambiance était incroyable. »

Attribuée au canton de Genève, la famille est hébergée au centre d'hébergement collectif (CHC) d’Anières. « Nous y avons été accueillis en turc par un intendant. J’ai alors compris que notre périple était terminé.  Pascale, assistante sociale, organisait beaucoup d’activités pour les enfants et nos filles étaient ravies. » Vivant confortablement en Turquie, Belkis souffre au début des conditions de vie du CHC. Mais quand elle voit des personnes heureuses d’avoir simplement de l’eau ou un toit au-dessus de la tête, elle reprend courage. La famille se lie d’amitié avec les voisins, elle déménage après huit mois dans l’annexe d’Anières plus calme, ce qui permet à Belkis de se concentrer sur l’apprentissage du français. En octobre 2021, la famille emménage dans un appartement de l’Hospice général.

Belkis et son mari étaient tous deux enseignants dans leur pays et ils ont de nombreuses cordes à leur arc. Tandis que son mari est orienté vers le service d’insertion professionnelle (SIP) de l’Hospice général, elle reçoit le feu vert pour s’inscrire au programme d’Horizon académique. Son objectif est d’être ensuite admise à la Haute école de travail social (HETS).

Belkis effectue son stage préalable à l’entrée à la HETS à l’Hospice général dans une unité dédiée à l’information des migrants. Ce sont alors d’émouvantes retrouvailles avec Patrizia, assistante sociale que Belkis avait rencontrée en mars 2020 lors de l’atelier Découverte de Genève qu’elle a suivi à son arrivée. « J’ai beaucoup appris en huit mois. J’avais l’impression d’être dans les coulisses. J’ai participé à une analyse des besoins auprès de 68 personnes pour améliorer les ateliers ; j’en ai coanimé un en officiant comme traductrice turc-kurde-anglais. J’ai également organisé une sortie au Théâtre de Poche avec des femmes de différentes cultures en profitant de billets suspendus mis à disposition par le théâtre. C’était une belle expérience et j’ai eu le sentiment d’apporter du bonheur.»

« Passer de l'autre côté du miroir a été une expérience impressionnante pour moi. »

Admise à la HETS, Belkis y entre en septembre 2022. Les débuts sont difficiles et lui demandent de travailler avec assiduité pour surmonter les difficultés liées au langage académique. Elle n’a pas hésité à parler de son parcours à sa référente de processus de formation (RPF) et à ses camarades de classe. « Je ne voulais pas que l’on m’octroie des privilèges. Je savais que je devais compenser mes faiblesses en français par autre chose. » Pour son premier stage, d’une durée de 5 mois, Belkis demande conseil à l’équipe dans laquelle elle a fait son stage avant d’entrer à la HETS et c’est ainsi qu’elle pose sa candidature auprès du centre d’action sociale (CAS) du Grand-Saconnex où elle est acceptée. « C’est un petit CAS, il y règne une ambiance familiale et je m’y sens comme chez moi. Ma formatrice à la pratique professionnelle, Lucile, m’a bien observée, elle connaît mes besoins. » 

« J’ai parfois l'impression d'être dans une pièce de théâtre. Un matin, j'avais rendez-vous avec mon assistante sociale et l'après-midi, j'ai mené un entretien avec un bénéficiaire. Passer de l’autre côté du miroir a été une expérience impressionnante pour moi. »

« Mes deux stages ont été et sont riches d'enseignement. Je suis heureuse d'avoir rencontré deux si belles équipes. Ma confiance en moi a encore augmenté et je sens que je me rapproche de mon objectif. L'Hospice général est comme ma famille et ce fut un honneur pour moi de travailler dans cet établissement. Grâce à mon travail, j'ai pu remercier cette institution, qui nous a soutenues, ma famille et moi, tant économiquement que moralement jusqu’à aujourd'hui. Je pense que je suis au bon endroit professionnellement et j’espère pouvoir toujours continuer avec cette motivation. »

Pour l’heure, Belkis souhaite orienter sa carrière vers l’accompagnement des adultes. Nous lui adressons tous nos vœux de réussite.

 

Propos recueillis le 24 novembre 2023

 

Belkis